Patrick de Friberg, écrivain, auteur de romans d’espionnage (Dossier Rodina, Nouveau Monde éditions, 2015 ; Dossier Déïsis, Castor Astral, 2009) Il y a quelques années, traduisant John Barnett, je tombais sur une fable détournant l’histoire de l’Amérique des années soixante, ses complots et sa censure par l’arme de l’humour new-yorkais.
Dans la véritable histoire du crash de Roswell, l’auteur nous révélait que oui, l’armée américaine avait tenté maladroitement de cacher l’un de ses essais d’espionnage envers l’Union soviétique – et la France – par des ballons stratosphériques. Les petits hommes verts restaient un fantasme populaire. Cependant le récit rebondissait : la diffusion de l’affaire traversa l’espace à la vitesse de la lumière et parvint aux oreilles d’assureurs intergalactiques à l’administration rigoureuse. L’Amérique recevrait bientôt la visite d’enquêteurs recevant le « les E.T n’existent pas » avec bonhomie, mais à la réponse renouvelée : « Lesdites soucoupes étaient-elles assurées, les avez-vous détruites avant la visite de notre expert ? ». Cette contradiction entre une réalité et une autre réalité, celle d’un autre niveau, sera sans doute le moyen de raconter l’histoire de notre redécouverte de l’efficacité d’une structure nationale, face à un événement mondial, une guerre, cette pandémie.
L’écrivain pourrait raconter la gripette des premiers jours, abreuvée par des dizaines d’infectiologues, d’épidémiologistes, de professeurs et de journalistes scientifiques tous plus informés, les uns que les autres. Il parlerait de Li Wenliang, le médecin de Wuhan âgé de 34 ans, qui avait été convoqué par la police le 30 décembre, condamné pour avoir propagé des rumeurs. Il ferait revenir sur le plateau de ses chapitres, les mêmes experts, expliquant seulement deux semaines plus tard leurs prévisions alarmistes ou réservées, dans tous les cas bien plus confuses, noyées dans des termes incompréhensibles. La mort ne toucherait plus les anciens, le virus saturerait le système à le faire exploser devant la multiplication des cas graves.
L’historien ferait mourir un homme politique, mais mettrait un point d’humour en décrivant l’épouse d’un ancien président crachant sur ses amis lors d’un défilé de mode en certifiant qu’elle était du côté des plus forts : « je suis d’une autre génération ! ». Il compterait sur la vidéo vingt-deux personnes autour d’elle. Des jeunes et des vieux. Il s’interrogerait, juste une réflexion statistique, si elle était porteuse asymptomatique (elle revenait d’Italie). Elle serait, selon la formule mathématique de l’université John Hopkins, la responsable quinze jours plus tard de plus de vingt mille cas, dont près de deux pour cent succomberaient. John Barnett nous aurait fait éclater de rire en transformant la réalité glaçante en une farce sociale qui suit la leçon de Molière pour tourner en ridicule et révéler la comédie : « À vous en parler franchement, notre métier auprès des grands ne m’a jamais paru agréable et j’ai toujours trouvé qu’il valait mieux, pour nous autres, demeurer au public. Le public est commode. Vous n’avez à répondre de vos actions à personne, et pourvu que l’on suive le courant des règles de l’art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver. Mais ce qu’il y a de fâcheux auprès des grands, c’est que quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent. » (Monsieur Diafoirus, Le malade imaginaire). En période de guerre, le responsable politique se risque à devenir l’acteur d’une parodie, alors que l’autorité élue n’est plus devant une chronologie de l’action, elle est dans l’acte plein de la stratégie prédictive du court terme. Elle reçoit des informations de réalités opposées, parce que de niveaux différents. Elle envisage la mobilisation de ses seuls moyens limités, impossibles à préparer, pour contrer un ennemi nouveau qui défend sa propre vérité : gagner sa propagation.
Et puis au-delà de la confrontation des réalités, Molière ou bien Barnett ne pouvaient envisager ces nouvelles guerres comme le chef d’état-major des armées russes, le général Guerrassimov en avait fait une doctrine en 2010 : La Russie n’avait plus les moyens d’une guerre totale, mais constatait que les nations démocratiques contenaient en elles-mêmes les recettes pour servir son ambition. L’ère des fake news devint le temps de la réalité subjective admise par une minorité agissante, le camp des patriotes, le camp des révolutionnaires, le camp des complotistes. Avant, après avoir réécrit l’histoire, les tenants de la grande conspiration, soutenus par les extrêmes, nous offraient des papiers, des ouvrages en arguments de leurs folies. Aujourd’hui, les fermes de trolls de Saint-Pétersbourg inondent les mêmes par des informations « censurées par le gouvernement mondial des ennemis de la liberté », à une échelle folle. L’infox du vaccin bovin déjà existant contre le covid 19 caché par les laboratoires s’ajoute aux théories propagées sur la fin du modèle de l’économie libérale et des démocraties européennes vendues par Spoutnik. La post-vérité se propage dans une campagne perturbant les dernières Présidentielles en France et aux Etats-Unis, le Brexit en Angleterre et même l’épisode des Gilets jaunes. Nous sommes en guerre, a déclaré le Président Macron. Au-delà de la farce des égos, des controverses « barnettiennes », des momentum du renseignement sanitaire, sur la date du confinement, la nécessité de maintenir le premier tour des élections municipales, nous saurons tout, un jour prochain, avec l’analyse des données statistiques. Toutes ses découvertes a posteriori engendreront des récits et des résiliences, jamais des uchronies.Seulement la faiblesse des démocraties est une manne pour entretenir la haine. Encore plus en période de confinement et de tensions. Bien entendu il n’y aura pas de pandémie du Covid 19 en Russie aussi visible qu’en Amérique, mais une épidémie de fake news y fera son apparition. Bien entendu le virus est américain dans la réécriture chinoise, il est aussi japonais pour l’ambassadeur de la Chine populaire à Tokyo, et peut-être française selon leur représentant à Paris. La potion du Président brésilien guérit. Le pasteur de la Maison blanche explique que la pandémie est une punition divine contre les lois autorisant l’avortement et l’homosexualité. Le Président Poutine moque la faiblesse de la santé des Européens face à la force slave.
Face aux réalités qui s’affrontent et brouillent la connaissance du fait, la farce devient virale dans une partie de notre population. Pourtant, ce n’est pas un assureur intergalactique qui s’invitera, mais un virus qui, bonhomme, répondra au « vous n’existez pas », par « pendant votre inaction, je tue, veuillez excuser la gêne occasionnée. ».
« Je suis la pandémie, je voyage en survie et pour cet acte simple de propager mes gènes. Je me nourris de vos différences et m’enrichis de l’impossibilité des nations à me combattre ensemble. Je remercie vos manquements à la solidarité et à vos controverses qui retardent l’action. Vous êtes des hôtes bien plus respectueux de moi que le pauvre pangolin. Merci pour ce moment. ».
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