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La technologie est un atout majeur pour recréer des politiques publiques fortes et alternatives


Interview Gilles Babinet Entrepreneur, Vice-Président du Conseil national du numérique ; Conseiller de l’Institut Montaigne sur les questions numériques Les Français étaient-ils techniquement et culturellement prêts à ce que le numérique devienne si prépondérant dans leur vie à la fois personnelle et professionnelle ?

Il y a un effet de marche indiscutable, avec un développement des usages qui est très soudain dans la mesure où l’on n’a désormais plus le choix. Il y a des choses qui marchent plutôt bien, comme la résistance des infrastructures à la montée en charge et des choses qui sont moins évidentes, comme les services numériques au sein de l’Éducation nationale qui ne sont pas toujours très fonctionnels (site du CNED) ou qui ont des difficultés à monter en charge. Mais dans l’ensemble, cela marche bien.

Le numérique est-il le grand gagnant de la pandémie que nous vivons, malgré son impuissance à avoir su la prédire ?

Oui, probablement. Ce qui reste à faire, c’est de créer un numérique européen, qui nous ressemble plus que celui qui est en usage aux USA et en Chine. Or, cela n’est pas encore le cas. Que l’on ait un numérique plus résilient, et moins consumériste par exemple, serait bienvenu.

C’est vrai que nous avons été peu capables de prévoir l’évolution du covid-19 et que nous ne nous sommes pas appuyés sur les outils numériques pour cela. Disposer d’une vraie agence épidémiologique et de sécurité sanitaire à l’échelle de l’Europe, avec une capacité opérationnelle aurait été un minimum. Par exemple, faire des prises de température dans les principaux aéroports européens aurait vraiment permis de voir que quelque chose d’anormal était en train de se produire. Vous travaillez notamment beaucoup sur la question de la stratégie numérique des territoires. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelle est l’appétence des collectivités territoriales françaises pour le numérique? Ont-elles assez de compétences sur lesquelles s’appuyer? Ont-elles suffisamment de marges de manœuvre pour innover et expérimenter?

Cela fait presque dix ans que je m’intéresse à la transformation numérique sous toutes ses formes, et de la sphère publique en particulier. On ne peut pas se satisfaire du rythme où vont les choses. Le problème le plus significatif, c’est la formation des élus. S’ils ne comprennent pas, il n’y a que peu d’espoir de les voir accompagner des évolutions structurelles. Les territoires sont les grands oubliés du monde de demain. Ils ont connu la désindustrialisation, l’évolution des modes de consommation et l’e-commerce, qui a détruit les centres bourg et les centres des petites villes. Il faut reprendre notre destin en main et comprendre que la technologie est un atout majeur pour recréer des politiques publiques fortes et alternatives pour les territoires. A votre avis, la transformation de l’action publique via le numérique a t-elle été réellement engagée et reconnue par nos concitoyens ? Oui et non. Il y a incontestablement un vent nouveau au sein de l’Etat central. Des sujets qui avançaient péniblement se sont débloqués, ainsi de la numérisation du système de santé qui, si elle n’est pas encore opérationnelle, n’en est pas moins lancée. De l’autre, des briques essentielles manquent ; nous n’avons pas, à l’échelle de l’Europe, de solution de cloud « souverain », qui soit d’un niveau comparable à ce qui se fait aux USA, nous n’avons pas d’identité électronique, des ministères régaliens, comme la Justice n’ont qu’à peine commencé à réfléchir à ce que pourrait être un vrai parcours numérique, etc. Dans la gestion d’une telle crise sanitaire, le déploiement à l’échelle mondiale de la 5G aurait-il pu permettre de mieux anticiper la pandémie et de la gérer autrement?

D’une façon générale, en France les technologies ne sont presque pas utilisées pour juguler ce type de catastrophe. J’ai évoqué les sujets d’épidémiologie qui sont pourtant les plus évidents. Les sujets plus sophistiqués sont du même acabit : il n’y a pour ainsi dire rien. Je regardais hier soir le journal télévisé et on voyait un interne se démener au téléphone pour essayer de trouver un lit de réanimation dans un autre hôpital que le sien : je peux faire le pari qu’à Hong-Kong ou Taïwan, il existe une solution numérique intégrée, qui fait gagner un temps précieux au personnel hospitalier. Que pensez-vous du débat actuel sur le tracking, dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 ?

C’est essentiellement lié à des facteurs culturels. Il n’y a pas de « juste » milieu. Le juste milieu, c’est ce que collectivement les sociétés humaines sont prêtes à accepter dans un contexte démocratique. Les réserves exprimées à l’égard de systèmes numériques de tracking, qui sont parfois assez coercitifs à Taïwan ou en Corée, sont assez limitées. Ces mêmes systèmes seraient probablement très difficiles à faire accepter à l’opinion publique française. Pour en savoir plus : voir son Webinar « Big data, épidémiologie et politiques publiques » https://www.youtube.com/watch?v=Rxt-8Z1dQHg BIO : Entrepreneur dès l’âge de 22 ans, Gilles Babinet est le fondateur de nombreuses sociétés dans des domaines aussi divers que le conseil (Absolut), le bâtiment (Escalade Industrie), la musique mobile (Musiwave, revendue pour 139 millions d’euros), la co-creation (Eyeka) ou les outils décisionnels (CaptainDash). Aujourd’hui, Gilles Babinet est membre de la Fondation EDF, mais son expertise dans le numérique est aussi reconnue en France et à l’étranger, ce qui lui vaut d’être nommé Vice-président du Conseil National du numérique (juin 2018) et Digital Champion auprès de la commission européenne (juin 2012), où il représente les intérêts du numérique français. Il conseille également plusieurs CEO du classement Fortune 500. Sa pensée, il la partage également en tant que contributeur prolifique à l’institut Montaigne, professeur associé à Sciences Po, qu’auteur d’ouvrages sur le numérique : » Big data, penser l’homme et le monde autrement », « L’Ère Numérique, un nouvel âge de l’humanité » – le dernier d’entre eux étant « transformation digitale, l’avènement des plateformes”.

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