Interview de Madame Marianne Duranton, Maire de Morsang-sur-Orge et Conseillère régionale
Votre élection met fin à 70 ans de gouvernance communiste. Au-delà de votre victoire, comment interprétez-vous ce désir de changement ? Un désir de changement politique ou une nouvelle attente des citoyens dans la manière d’exercer un mandat local ?
Je crois que, quelle que soit la majorité en place, l’alternance est souhaitable. Quand on « règne » sans partage depuis 70 ans sur une ville, sans remettre en cause ses pratiques et en restant enfermé dans « sa » propre vérité, on perd le sens du réel.
J’ai porté une candidature de terrain, de proximité, de pragmatisme, mais aussi d’envie et de projets. J’ai su agréger autour de moi une équipe d’habitants, tous horizons politiques confondus, qui voulaient être acteurs de ce changement. Nous avons formé une belle équipe, heureuse de rencontrer les gens, heureuse d’être ensemble. Sans parti pris ni préconçu. C’est cette envie qui a aussi fait la différence. Nulle forteresse n’est imprenable et parfois le pouvoir s’isole dans sa tour d’ivoire. Je pense que c’est ce qu’il s’est passé. A Morsang-sur-Orge, le maire est une femme depuis 1953. Les femmes ne représentaient jusqu’à présent que 17 % des maires. Mais ce chiffre de la Direction générale des collectivités locales a changé lors de ces dernières municipales, mais marque un vrai pas en avant des femmes dans la gestion de proximité. Comment analysez-vous cette évolution ?
Les femmes ont « sauté le pas » et je m’en réjouis ! Elles s’engagent, elles sont prêtes à se battre et c’est vraiment une bonne nouvelle. J’ai constitué, il y a quelques années, une association qui s’appelait les « femmes élues de l’Essonne Solidaires » (les Fées) et nous avions organisé un colloque dont le titre était « la femme est-elle un homme politique ordinaire ? ». Ce colloque avait reçu une affiche prestigieuse comme Didier MAUS, le Constitutionnaliste, Jean-François AMADIEU, Sociologue, Bernard PRADINAUD qui avait accepté d’animer nos débats, Ramatoulaye YADE était également venue témoigner de « sa vie politique ».
Les femmes ne sont pas des hommes et elles ne doivent pas travestir leur personnalité. Ce qui a changé, c’est certainement qu’elles l’acceptent aujourd’hui. Ce qui a changé, c’est que le regard que les partis portent sur les femmes est différent : avant, on envoyait les femmes dans les territoires perdus et on laissait les territoires plus acquis aux hommes. Aujourd’hui, les femmes sont sorties de la logique des « quotas femmes » et elles ont démontré qu’elles étaient des atouts. Il était temps ! Le regard des électeurs a changé aussi. Nos habitants ont compris qu’une femme peut avoir une gestion beaucoup plus pragmatique qu’un homme et qu’elle peut permettre de découvrir « une autre façon de faire de la politique ». Vous avez évoqué Morsang-sur-Orge comme « une belle endormie », lors de votre campagne. Quelles vont être les principales mesures que vous souhaitez initier en ce début de mandat ? La revitalisation du centre ville et la digitalisation de certains services à la population seront-elles des priorités ?
Morsang est une très jolie ville de grande couronne. A 20 kilomètres de Paris avec un château et un Parc Magnifique. Mais voilà, trop de temps a coulé sans que rien – ou presque – ne se fasse. Comme une paralysie, un endormissement. La belle endormie attendait qu’on vienne l’embrasser et la réveiller certainement.
Depuis notre élection, je ressens une énergie qui avait disparu. Les gens se disent : « c’est possible ». Cette confiance nous oblige et nous stimule.
Nous avons donc lancé des actions concrètes immédiates que nos habitants attendaient : sécurisation, lutte contre les voitures ventouses et stationnements sauvages, propreté de la ville, nettoyage, lutte contre les dépôts sauvages.
Nous avons également donné un coup de propre à notre marché, qui doit être un lieu de rencontres et de plaisirs partagés, lancé tout un « relooking » d’une école qui le méritait bien, en faisant intervenir des artistes de street art qui ont fait une dizaine de fresques sur les écoles.
Notre mandat sera ambitieux et reposera sur 3 piliers qu’il me semble indispensable de développer pour « réveiller la belle endormie » :
le cadre de vie: pour qu’une ville se réveille, il faut qu’on ait envie de s’y promener, d’y passer du temps. Il faut qu’elle soit particulièrement choyée. C’est tout l’enjeu d’un urbanisme raisonné qui s’appuie sur l’environnement et intègre toutes les problématiques liées à la vie des gens : services publics, déplacements, activités.
Le centre-ville et la nécessité de recréer de la proximité: les commerces sont essentiels, la crise sanitaire nous l’a démontré, il ne faut pas reprendre nos mauvaises habitudes de consommation et il faut vraiment développer tout ce qui est « circuits courts » et proximité.
La modernisation du service public et la digitalisation est en cela un élément essentiel de cette nouvelle façon de concevoir le rôle de l’administration. On doit tout faire pour faciliter la vie des gens, quelle que soit leur situation. L’administration doit pouvoir accompagner les habitants dans leur vie quotidienne, aussi bien en se digitalisant qu’en restant un acteur de proximité essentiel.
Vous avez évoqué également dans votre discours d’installation « le développement des nouvelles solidarités qui associe la solidarité et l’activité, les jeunes et les retraités, les personnes fragiles et celles qui veulent s’engager pour les autres ». Dans cette période de crise sanitaire et économique, comment les élus locaux peuvent-ils mettre en œuvre ces nouvelles solidarités ?
Les nouvelles solidarités (actives), c’est un engagement fort que j’ai pris lorsque je travaillais aux côtés de Martin HIRSCH quand il était Haut-Commissaire aux solidarités actives. Les nouvelles solidarités, c’est savoir dépasser les clivages entre les jeunes et les moins jeunes, les « riches » et les « pauvres », les valides et les non-valides. La crise sanitaire a démontré qu’on ne pouvait pas continuer « comme avant ». Les choses ont changé. Il faut savoir développer les réseaux de solidarités citoyennes, il faut apporter des réponses aux gens et les aider dans leurs démarches en cessant le « c’est pas moi, c’est l’autre ». Ce n’est qu’à ce prix qu’on pourra évoluer, casser les clichés et faire en sorte que notre société se porte mieux. Que les plus âgés se sentent utiles parce qu’ils vont parrainer des jeunes. Que le respect va pouvoir se faire entre les générations et qu’on va lutter contre l’isolement. Vous êtes Maire, mais également élue régionale dans la majorité présidée par Valérie Pécresse. A quelques mois des élections régionales, souhaitez-vous une réorganisation décentralisée du fonctionnement territorial ? La crise sanitaire que nous traversons plaide-t-elle en faveur de plus de pouvoir des régions, par exemple dans le domaine de l’éducation et de la formation ? Il faut un Etat fort, on en a besoin. Mais cet Etat fort doit éviter d’être dans le détail. Il doit fixer les grandes orientations et faire confiance aux énergies locales pour travailler et organiser le local.
Le Président de la République a voulu « réincarner » la fonction. Il a eu raison, car il fallait recréer de la « verticalité », mais il n’a pas compris que pour tenir droit, il faut avoir des fondations. Ces fondations, ce sont les élus qui les composent. Il faut s’avoir s’appuyer sur les élus locaux pour gérer au plus près les territoires et la région est également un niveau pertinent de gouvernance. Suffisamment large pour avoir une action cohérente et suffisamment proche pour pouvoir s’adapter. On doit laisser les territoires s’organiser dans le cadre des lois de la République. C’est essentiel. En tant que Maire, le Plan de Relance présenté par le Premier ministre vous semble-t-il satisfaisant pour les collectivités locales ? La garantie de recettes, le soutien direct à l’investissement, la création de tiers-lieux et autres espaces numériques, sont-elles des mesures nécessaires et suffisantes ?
Durant la crise, les collectivités ont su être au rendez–vous, alors que l’Etat était vraiment dans un flou absolu. Elles ont été sources d’innovation et n’ont pas hésité à dépenser beaucoup pour préserver leurs concitoyens. Les recettes, elles, n’ont pas été au rendez-vous. Il faut donc que l’Etat soit aujourd’hui au rendez-vous comme il l’avait été en 2008 lors de la crise financière. Les collectivités locales sont à 70% à l’origine des investissements. Il ne faut pas l’oublier et il faut impérativement les soutenir dans leurs projets. C’est par elles que passera la relance.
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